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Silent Mutation (Post anthropocène)

Low Land

Tsunami / Ice Land

Safe Land

High Land

2016-2017, Exposition Silent Mutation, Artothèque de Caen
2017-2018, Exposition Paysages Français, BNF François Mitterrand

Géodesy

Beyond the time

Into the cloud


Vidéos

Tree leaves always fall one day

Vidéo 3,59 mn en boucle


Organic

Vidéo 3,56 mn en boucle


Beyond the time (vidéo)

15,23 mn en boucle


Projet Silent Mutation (Post Anthropocène)

Et il invente le paysage… 

Claire Tangy / Janvier 2017
 
« … Avant d’être un spectacle conscient, tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve »
 
« …le pays natal est moins une étendue qu’une matière ; c’est un granit ou une terre, un vent ou une sécheresse, une eau ou une lumière. C’est en lui que nous matérialisons nos rêveries ; c’est par lui que notre rêve prend sa juste substance… »
 
Gaston Bachelard « L’eau et les rêves ».
 

Les photographies de Lionel Bayol-Thémines frappent, en ce sens qu’elles agissent sur l’œil comme un signal fort, incontournable. Elles suscitent chez celui qui les observe, fascination, tout autant que questionnement et sentiment d’étrangeté. Que sont ces images ? De quels paysages sont-elles la mémoire ? De quelles fictions sont-elles les témoins ?
Là, une falaise enherbée surplombe calmement une mer aux tons gris/bleu, tandis que des formes vertes et acérées – herbes ou aiguilles ? – flottent dans le ciel, menaçant à l’évidence l’ordre des choses. Ces formes ne sont d’ailleurs pas sans évoquer les visions qui surgissent à la surface de l’œil lorsqu’on l’a frotté ou plissé trop fortement. En ce sens, le champ qu’elles occupent dans l’image répond difficilement au classement habituel de la perspective paysagère. On ne peut à proprement parler de premier plan, mais de prépondérance. Un peu comme si l’élément ajouté était la projection, au sein de l’image objective, d’une forme inhérente à notre vision. C’est en tout cas de l’ordre du débordement, de la sortie de route.
Quel est ce tsunami neigeux qui se superpose au sable humide d’une plage à marée basse ? A l’endroit précis où la jonction s’opère entre sable et neige, nos repères vacillent. L’œil discerne cependant les deux registres de représentation, celui qui documente le réel et celui qui l’invente. Il se plaît à vagabonder de l’un à l’autre, puis revient à la zone de frottement entre les deux, comme s’il cherchait à décoller la croûte neigeuse, à glisser un doigt dessous, ainsi qu’on procéderait pour soulever un couvercle et découvrir ce qui se cache dessous. Inconfort de la vision. Incertitude quant à l’objet regardé. Mais aussi fascination et sensualité de la matière. Que ce soit la vapeur d’eau cotonneuse du nuage, le crémeux de la neige artificielle, la rugosité de la roche, l’humidité du sable, tout autant que la prolifération verte et mousseuse des algues, lisse et artificielle, la matière est exacerbée comme une composante émotionnelle du paysage. La force des images inventées par Lionel Bayol-Thémines tient autant à la clarté de leur composition, qu’à leur portée paroxystique. Sensation que les éléments débordent, sortent du cours prévu d’un ordre qui pourrait bien être révolu. Allant jusqu’à pousser la photographie à sortir de sa dimension propre pour devenir volume.
L’artiste ne cherche pas à fondre l’artificiel dans le réel, à passer sous silence – à des fins d’enjolivement – son processus de fabrication.  Bien au contraire il rend apparent, avec une certaine brutalité, le récit de cette élaboration, faisant écho en cela à la façon dont l’activité de l’homme métamorphose le paysage. Il façonne ses images, par ajouts ou retranchements, puisant dans la matière numérique-même de l’image photographiée, le matériau nécessaire à la construction de sa vision. Ce faisant, il fabrique un paysage, qui est autant vrai que faux, de l’ordre du mirage ou de l’apparition. La capacité de Lionel Bayol-Thémines à inventer le paysage et les modalités de sa représentation, tout autant que sa façon d’y intégrer les  inquiétudes dont il est l’objet – la mutation silencieuse –, l’inscrivent fortement dans son époque.
 
Claire Tangy